dix-huit mois de recherche-action au sein d’une résidence sociale, artistique et temporaire à Strasbourg

04 ¦ 2020
Hospitalités

Correspondance avec Sainte-Odile

04 ¦ 2020 · Hospitalités L'Odylus, un lieu d'accueil ?
En questionnement La façon dont on peut débuter une résidence artistique lorsque physiquement on ne peut pas venir sur place
Illustration Cynthia, en pleine rencontre post-confinement – Salon de l’Odylus, 17 juin 2020
Auteur·e·s Cynthia, artiste en résidence à l’Odylus d’avril à octobre 2020

Une filiation opportune

↘  Au mois de mars 2020, je lis Chloé Delaume à la table de ma cuisine : « Intervenir dans son rêve, briser le cauchemar, sortir de la répétition, briser la malédiction, exorciser l’esprit de ses fantômes. Chaque nuit, c’est le même rêve, dès que dans le réel les faits deviennent hostiles, l’environnement pénible, les événements menaçants. Le problème ce n’est pas de savoir qui vous poursuit, pourquoi la pièce n’a pas de porte, ni depuis quand votre mère vous refait passer le baccalauréat en sous-vêtements dès que vous êtes à découvert. Le problème, c’est que ces cauchemars vous épuisent. À tout problème, sa solution. Le hasard n’existe pas, au commencement était le verbe. Alors, s’écrire, pour commencer. S’écrire en semant la meute à vos trousses, juste parce que vous décidez qu’il existe une sortie si vous tournez à gauche ; sur les parois de pièce, tracer les contours de la porte, desserrer ses mâchoires pour conjuguer le verbe dégage et demander à sa mère d’aller se rhabiller. Surtout si elle est morte. Devenir ce que l’on veut nécessite une hygiène onirique minimale. Ici un exercice vous est donc proposé. »

Cynthia écrivant le mot ESPOIR sur le sol

Faute de rivage, une bouteille à la mer

Confinés à l’exercice de la distance — physique et sociale —, c’est à la fin du mois de mars 2020 et donc au début de la quarantaine que la correspondance avec Sainte-Odile débute. Cette dernière devient une figure prête-nom pour une conversation avec la communauté qu’elle abrite.
Des SMS, des coups de fil, des échanges d’images en différé, on passe un appel comme on lance une bouteille à la mer.
Si tout le monde semble être dans le même bateau, pour autant le cap n’est pas le même pour tous.
Comment créer de la rencontre quand le confinement nous impose de nous tenir à distance ?
Les conversations sont denses, parfois graves et parfois légères.
On comprend vite que l’objet de nos échanges n’est pas là, dans la teneur, mais bien qu’il réside plutôt dans l’instant : dans l’imprédictibilité même de notre présence collective ou effective, et de son aspect temporaire.
Le fil des discussions débouche sur une forme de confiance mutuelle, avoir le réflexe de s’appeler et le droit d’être complices.
Le tout se fait par projection. Cela donne matière à inventer, c’est-à-dire que par téléphone tout est possible.
Le téléphone sonne, on se rencontre à la voix, on se devine, et on apprend à se connaître au fur et à mesure.
Le ton qui change d’un jour à l’autre, d’un matin à un soir. On échange aussi sur ce qui change quand on reste chez soi, quand on a un chez-soi, quand on n’a pas le droit de sortir, quand on doit sortir. On observe de nos fenêtres respectives ce qui change, on discute de ce qu’on peut, de tout, voire de rien.
Le temps défile lentement, les conversations filaires passent de la météo, au bruit, à la quarantaine.
Sur plusieurs semaines une ritournelle de réalités vécues et mises en récits dans une sorte d’intimité ou de quotidienneté devient familière dès lors qu’elle est partagée. Des souhaits «appelés de ses vœux», des peurs, des incertitudes ou des convictions, des suspicions et des doutes, des aspirations, de la colère, du désir, évidement mais aussi et surtout l’empêchement. On aménage une zone en dehors du temps, un espace de parole pour se tenir au courant, rester en contact, être à l’écoute, et prendre des nouvelles. Soudainement cela prend une tonalité toute autre : le don de la parole. Et la parole consciente est un levier d’émancipation, ne serait-ce que parce que cette parole appartient à celle ou à celui qui s’énonce.
Trouver des manières de s’exprimer constitue un surcroît de liberté, même par téléphone.

Accrocher un morceau de tissu ou d’étoffe à sa fenêtre, depuis sa fenêtre, prendre une photo par jour de quelque chose qui attire l’œil, écrire, dessiner ou esquisser quelque chose sur une feuille de papier, plier la feuille en avion, et l’envoyer par sa fenêtre, inscrire un mot sur le sol de son balcon ou de sa cour ; autant de gestes symboliques que de rituels induis par la quarantaine qui mettent en scène tant des récits textuels que de situations. Les tâches ménagères, la mise en place d’un couchage, les habitudes alimentaires, les déambulations coutumières, interstitielles, les habitudes cosmétiques. Les gestes répétés prennent la forme de rituel, la préparation d’un café devient prétexte à une lecture de marc de café ; une balade nocturne donne lieu à un feu de joie.

Nous nous rencontrons le 4 juin 2020 à 14h, dans la cour de l’Odylus.

Conjurer le verbe

« Seul »
« Comment tu vas ? »
« Ça va merci »
« Que fais tu de ta journée ? »
« Pas grand chose »
« J’ai mal dormi »
« La nuit c’est calme, j’aime la nuit »
« Alo »
« Courage, courage »
« Qu’est-ce que tu vois par ta fenêtre ? »
« Mon balcon »
« Voilà mes plantes »
« D’où tu viens ? »
« Des pâtes à la bolo »
« Comment vas ta famille ? »
« La loyauté »
« Toujours plus loin, toujours plus au nord, toujours plus seul »
« La vie, c’est pas un biscuit »
« Impossible n’est pas impossible »
« Arrêter de se battre c’est perdre espoir »
« SPASSIBA »
« L’espoir fait vivre »
« Avoir les pieds sur la terre »
« Dépêche toi de vivre ou de mourir »
« Prier ça m’aide quand je me sens faible »
« Je réfléchis à comment faire pour que les jours ne se ressemblent pas »
« Ephémère, le noir et le vide = NEANT. »
« Regarder des films »
« On a tous peur de le l’inconnu »
« shpresa »
« Écouter de la musique »
« Alignement de vénus »
« Gentil n’a qu’un œil »
« Un châtiment, le destin »
« L’espoir »
« La solitude »
« Aller à la pêche, aller à la campagne »
« Duke shetitur » = marcher
« Qyteti » = ville
« Pëlqejnë » = aimer
« Zot » = dieu
« Ardheme » = l’avenir
« La magie c’est le hasard de la vie. »

Et pourtant, dira-t’on que l’âme agit